Le titre de l’exposition de Rina Banerjee – artiste newyorkaise d’origines indiennes, née en 1963 – présentée à la Galerie Nathalie Obadia est inhabituellement long. Il s’offre sous la forme suivante : Native Naked : Unworldly to others, the sweetness of her steel arrival, as bride to others coined worldly, no longer beast, now coiled in father-kinship’s sweep, her tendrils like tribes, her toe nails like seed dug deep in dry earth, leaking bloodlines, back curved to tow hard against current and cries, her wiry corners sting with salt and scent, blowing sacred conch with hot breath she could be stowed away wrapped in sharp oyster shells to reach shores where Empires broke, bottled her to go back and forth. Il déconcerte et trouble le visiteur qui, en venant dans une galerie, s’attend à regarder plutôt qu’à lire. Qui plus est, il s’agit de lire un anglais singulièrement manié – maniéré et raffiné. En lisant à haute voix, avec patience, ce titre semble ne pas avoir de fin… Et en filigrane de cette lecture, le visiteur peut aussi se demander s’il a vraiment un sens ?
Il ne serait peut-être pas abusif de définir Rina Banerjee comme plasticienne et poétesse : son univers est coloré mais aussi conté, il est composé d’images mais aussi de phrases qui les accompagnent, il abonde des figures mais aussi des incantations qui leur donnent vie. Chaque œuvre est une vision et un poème, un ensemble. Chacune dépeint une situation, une histoire. Et l’incantation du poème – qui n’est autre que son titre – aide le regard et l’imagination du visiteur à plonger mieux dans un monde qui se dévoile mythique, magique et mystérieux. Comme dans toute incantation, il est question des sons, des rythmes, des rimes, des répétitions plutôt que du sens ou des références. C’est par les évocations et non pas les désignations que ce monde – mythique, magique et mystérieux – peut s’ouvrir à celui qui écoute et regarde. Il ne s’agit donc pas – semble-t-il – de chercher un sens dans ces images ni ces poèmes, mais de les laisser agir sur les sens et sur l’imagination.
Les œuvres de Rina Banerjee – ses sculptures ainsi que ses œuvres sur papier (aquarelles, collages) ou sur bois (acryliques) – semblent flotter dans l’air, sans poids, suspendues sur les murs blancs. Tels les fantômes, créatures d’un autre monde, elles semblent entourées d’un halo.
En ce qui concerne les sculptures, sur une simple armature métallique, l’artiste dispose les matières de son choix jusqu’à l’apparition d’un personnage singulier. On souligne souvent la variété des matériaux utilisés : cornes, paillettes, tulle, perles de verre, os, masques en bois, coquillages, plumes, œufs, crânes, broderies, céramiques, files en tissus ou en métal etc. Mais la transparence, elle aussi, est l’un des éléments constitutifs. Ces sculptures prennent parfois la forme d’êtres humains, parfois celle de bêtes, de chimères, d’insectes, de végétaux etc. Elles semblent toutes animées. C’est peut-être l’exubérance des formes, des couleurs, des textures, mais aussi des phrases incantatoires, qui leur insuffle la vie.
Lire les titres des sculptures tout en les regardant, permet d’apercevoir un changement qui s’opère dans leur réception. Le son, la voix, la parole transforment un objet immobile et passif en un être plus vivant.
Kiss me blind, kiss me nice, make me shine, shower me in rice, raise me above my price, steal me, deliver me, bring me home to criss cross waters line, make me in pieces, shape me like mountains, but never, never take me out of country or origin
2018, Mixed Media, 80 x 40 x 20 cm (31 1/2 x 15 3/4 x 7 7/8 in)
Courtesy of the artist and Galerie Nathalie Obadia, Paris/Brussels
Photo credit : Bertrand Huet / Tutti Images
Sealed with a Kiss, kiss me once, make me nice, mix my blood, steal the contract for charity with rice and for modesty, race, purity and inheritance ask my father for permission
2018, Mixed Media, 70 x 100 x 35 cm (27 9/16 x 39 3/8 x 13 25/32 in)
Courtesy of the artist and Galerie Nathalie Obadia, Paris/Brussels
Photo credit : Bertrand Huet / Tutti Images
Under the wandering reach these are the parts of the world wind water lava light live
2014, Mixed Media, 120,1 x 89 x 110,5 cm (47 9/32 x 35 1/32 x 43 1/2 in)
Courtesy of the artist and Galerie Nathalie Obadia, Paris/Brussels
Photo credit : Bertrand Huet / Tutti Images
Dans ses aquarelles sur papier et acryliques sur bois – également présentées dans l’exposition – on reconnaît la même légèreté que celle de ses sculptures. Les formes sont presque liquides et transparentes comme si l’état dans lequel elles se trouvaient était provisoire ou en devenir. Cette fragilité des personnages et des situations représentées peut toucher, les couleurs – vives ou douces – captivent l’œil et l’imagination ; et les paroles, quant à elles, accomplissent le processus d’enchantement.
Lady in the Lake, what waits for you is this, behind doors of curtains, serpents and segregation, sollicitors partitions, puttering like puppies… are they sniveling and shuttering, crushing under conditions, threats, and do they vanished, without happy ending? She came to me with mango ski and mossy mountains enduring all our passions forever more
2018, Acrylic, ink and collage on paper, 76,2 x 55,9 cm (30 x 22 in)
Courtesy of the artist and Galerie Nathalie Obadia, Paris/Brussels
Photo credit : Bertrand Huet / Tutti Images
Celebrity stress under Seven pounds of jewelry under veils and trails,crowns, anklets that anchor, dances with Frills and ruffels, modernizing and mixing blouses, chemise and petti cotes should bridal color be colorless or colorful all in public view
2018, Ink and acrylic on two wood panels, 122 x 91,4 cm (48 x 36 in.)
Courtesy of the artist and Galerie Nathalie Obadia, Paris/Brussels
Photo credit : Bertrand Huet / Tutti Images
La présentation des œuvres au sein de la galerie est élégante, proportionnée, sobre. Dans cette ambiance simple, les œuvres féériques de Rina Banerjee ressortent avec éclat. Elles étonnent, voire surprennent. Le texte introductif qui cerne les contours de l’exposition est clair et instructif, il contente le visiteur souhaitant connaître l’artiste et comprendre sa démarche, notamment celle suivie dans cette exposition.
EXCURSUS
Native Naked. Indigène nue.
Peut-on être soi-même mieux que quand l’on est mis à nu, littéralement et métaphoriquement ? Sans habits et sans masques, sans maquillage et sans rhétorique, sans semblants et sans mensonges. La nudité rend fragile mais elle laisse voir l’homme dans sa simplicité.
Peut-on avoir une identité ethnique moins complexe que quand on est né et plongé dans le pays de ses propres ancêtres ? Pour un indigène, la culture se fond peut-être et se complète avec la nature plus que dans les sociétés à multiples cultures.
Peut-on avoir dans une société humaine un statut plus défini, plus déterminé, que celui d’une femme, des femmes, souvent vouées à la maternité et à l’administration de la vie domestique ? Ce qui leurs semble propre – maternité, maison… – peut parfois être perçu comme ce qui est inéluctable. Accepter ce sort ou y échapper ? Se rendre avec amour ou fuir avec rage ? Être une épouse ou être une sorcière ?
Ce monde – mythique, magique et mystérieux – déployé par Rina Banerjee est rempli de figures féminines. Ces femmes – peut-être indigènes, souvent nues, toujours séduisantes – se trouvent devant leur sort et sont vouées au mariage. Le mariage est un échange cérémoniel, une union, un contrat… C’est un seuil où la vie passe d’un stade à un autre. Mais le mariage c’est aussi une fête dont la mariée est la protagoniste. Elle est richement habillée, elle incarne le luxe, la beauté, le désir. Il n’y a plus de nudité, ni de simplicité. Elle devient une richesse même, voire une monnaie, un objet d’échange. Voilà l’aspect à double face – attirant et inquiétant à la fois – de cet univers chatoyant de Rina Banerjee.